Le buffet d'orgue échappé au vandalisme

Chanson publiée dans L'esprit des journaux, francais et etrangers (janvier 1795)

(Texte ré-orthographié)

Lorsque le crime et l'ignorance
Avaient juré la mort des arts,
Quel spectacle, lorsque j'y pense,
S’offrait à mes tristes regards !
Des accapareurs, pleins de morgue,
Entre eux tous osaient calculer
Ce que pesaient nos buffets d'orgue,
Qui dans un coin n'osaient souffler.

Sans profit pour le numéraire
Et pour la fonte du canon,
On avait déclaré la guerre
Aux orgues de plus grand renom ;
Une subite défaillance
attaquait leurs tuyaux brillants,
Qui s'écroulaient, presque en silence,
Dans la poche des malveillants.

Un buffet plus opiniâtre
Criait dans ce péril urgent: 
„ A moi Miroir, à moi Balbâtre,
„ A moi Charpentier et Séjan !
„ Arrachez-moi des mains gothiques
„ Qui m'outragent de tout côté :
„ Je saurai sous vos doigts civiques
„ Rendre hommage à la liberté.

„ Ce sont là de vaines paroles,
„ Dit un chaudronnier mutin.
„ A rendre ainsi des sons frivoles, 
„ On perd avec nous son latin.
„ Nous t'avons payé cent pistoles,
„ Et nous viendrons demain matin,
„ Dans le fond de nos casseroles
„ Te changer en cuillères d'étain."

Pour Apollon, dieux ! quelle injure !
Aussi protégea-t-il son fort ;
Le lendemain, par aventure, 
Était le neuf de thermidor.
Le vandalisme & ses apôtres
Depuis cette époque eurent tort,
Et tout ainsi que beaucoup d'autres,
L'orgue est là qui respire encore.

Aujourd'hui pour peu que l'on pousse
Quelques touches de son clavier,
Le tremblant à la flûte-douce
Cesse enfin de se marier ;
C'est même au fait, la voix humaine
Qui prend depuis peu le dessus,
Et l'orgue articule sans peine
Des vœux en ces termes conçus :

„ France, en dépit des Cannibales,
„ Conserve ton ciel tempéré ;
„ Les arts et les vertus morales
„ Refleuriront à ce degré.

Vaudeville républicain ; par le cit. Augustin de Piis (1755-1832) - AIR : Avec les jeux dans le village.