15 Novembre 2018
En cette seconde moitié du XIXe siècle, période de crise qui précéda la séparation de l’Église et de l’État et les troubles qui l’accompagnèrent, on trouve d’étranges similitudes avec la situation actuelle de la musique sacrée. On notera toutefois que ladite musique mondaine qu’était hier l’opéra comique est aujourd’hui remplacée par la variété des plateaux télévisés … (Nous pouvons constater, cent cinquante ans après, que, au-delà de l’inaptitude liturgique qui caractérise ce genre musical, la valeur artistique de la musique mondaine s’est de surcroît considérablement dégradée… )
Quoi qu’il en soit, se pose ici de façon intéressante le problème du choix dans nos liturgies entre la musique "de divertissement" et la musique "sacrée". La musique d’église doit-elle "divertir" ou "élever l’âme".
Joseph d’Ortigue attribue à l’œuvre du diable le fait que, dans conception artistique de la musique sacrée, la séduction prenne la place de la vérité. Il commence son ouvrage La musique à l’Eglise par cette anecdote qui marque une opposition radicale entre la musique sacrée et la musique profane, entre vérité et séduction.
Il y avait, en Espagne, à la cour de Philippe IV et de Charles II, un prêtre compositeur fort admiré dans le genre sacré et dans le genre profane, car il écrivait la fois pour l'église et pour le théâtre. Il se nommait Duson. Un jour, Duson conduisait à la chapelle du roi l’exécution d une de ses œuvres. L’exécution allait mal, si mal que Charles II finit par s’en apercevoir. Il demanda Duson et lui dit : - Duson, comment se fait-il, toi qui es prêtre, que les compositions que tu écris pour le théâtre réussissent mieux que celles que tu écris pour l église ? - Sire, répondit Duson, c’est qu’à l’église c’est moi qui bats la mesure, tandis qu’au théâtre c'est le diable.
Tout en pratiquant les deux formes d’art, le prêtre du nom de Duson cité dans cette anecdote admet que la séduction passe plus facilement… Faut-il pour autant renoncer à la vérité ?...
Oui, en fait l’art, la foi nous abandonne, et avec la foi le sens moral dans l’art, et avec le sens moral le sens du beau. La vérité n’est plus ce qui flatte les sens, ce qui remue tout le sensible, comme parle Bossuet. Parce qu’une philosophie audacieuse a nié la distinction du bien et du mal, peu s’en faut que nous n’en venions à nier dans l’art la distinction du vrai et du faux. L’intelligence a perdu sa voix, et la raison son ressort, car, hors de la foi, l’une et l’autre sont sans loi. Le chrétien, le catholique, et quelquefois le prêtre lui-même, en dehors du cercle des vérités révélées et de la croyance obligatoire, s’est laissé gagner à cette torpeur universelle. Politique, littérature, histoire, beaux arts, tout cela flotte dans un chaos mouvant d’idées, au gré de l’impression individuelle, comme choses indifférentes et arbitraires. On se venge ainsi de la soumission absolue exigée en matière dogmatique. Les liens qui unissent aux vérités fondamentales de la religion les divers objets des connaissances humaines, comme les liens qui unissent ces derniers entre eux, sont relâchés, sinon brisés ; et, de relâchements en relâchements, quoi d’étonnant à ce que, pour ce qui est de la musique et du chant, l’on en vienne à trouver naturel, à admettre comme bon et utile que l’Eglise chante sur le mode du théâtre, et qu’en fin de compte le diable batte la mesure dans le sanctuaire ?
La musique religieuse et véritablement liturgique ne saurait être subordonnée à d’aussi incertaines fluctuations. Elle doit être impersonnelle pour être populaire. Elle doit s’adresser à tous, répondre aux facultés physiques et morales de tous et se maintenir constamment au-dessus du caprice de la mode et du goût changeant des hommes.