11 Avril 2014
Voici un article extrait du bulletin paroissial n°10 publié en 1922, alors que le grand-orgue de Saint-François-Xavier était en travaux.
Beau témoignage sur la facture d'orgue à cette époque, l’esthétique de l'instrument et la fascination pour le système "pneumatique tubulaire"...
On entreprend, à l'heure actuelle, la réfection complète de notre grand orgue. C'est un travail long (un an environ). On ignore généralement la valeur de cet instrument, et nous sommes heureux de pouvoir publier un article, un peu technique peut-être, mais fort intéressant, qui, pour beaucoup, sera une révélation.
Le grand orgue de Saint-François-Xavier, actuellement en cours de réparation, est un instrument remarquable à plus d'un titre, non seulement pour ses belles sonorités, mais aussi pour le système de sa construction qui fait époque en facture d'orgue. Si on l'ignore trop en France, les étrangers savent bien que c'est le deuxième orgue construit en 1878 par Fermis, l'inventeur du système tubulaire à vent rentrant. En 1869, il avait livré son premier orgue à Saint-Volusien-de-Foix, où il existe encore ; une partie en avait été placée à l'exposition universelle de 1867 de Paris. Le grand facteur anglais, Willis en fut très frappé, expérimenta le système tubulaire, et, sans hésitation, il l'appliqua à son orgue monumental de Saint-Paul de Londres, terminé en 1870.
L'orgue de Saint-François-Xavier est donc un instrument en quelque sorte historique, car, s’il fut décrié par l'école parisienne, sur laquelle se réglait la facture provinciale, les étrangers comprirent bien vite les avantages du système Fermis. Progressivement, les facteurs anglais, allemands, américains abandonnèrent la traction mécanique, avec ou sans levier de Barker, pour le système tubulaire, objet de nombreux perfectionnements, lui donnant une telle précision et une telle souplesse que peu avant la guerre, sauf de très petits instruments, tous les grands facteurs étrangers employaient le principe de Fermis dans une proportion de 90 0/0. Le tubulaire a maintenant trouvé un rival, surtout en Amérique, dans la transmission électrique ; encore une invention française de Peschard, de Caen, dont le premier orgue fonctionnant encore à Salon (Bouches-du-Rhône) reste, depuis 1867, le "doyen" des orgues électriques.
Cavaillé-Coll, dans la restauration qu'il fit, vers 1883, à l'orgue de Saint-François-Xavier, conserva judicieusement le système tubulaire ; actuellement, après quarante-quatre ans de bons et loyaux services, un grand nettoyage et une restauration s'imposaient. Mais, depuis 1878, le système tubulaire a fait des progrès et M. le curé et les fabriciens (?) ont heureusement décidé que ces perfectionnements seraient introduits dans cet orgue, qui reste un monument dans l'histoire évolutive de la facture mondiale.
Mais, à cette occasion, on pourrait aussi le faire bénéficier d'autres dispositions adoptées dans les orgues actuels pour tirer un meilleur parti de ses belles ressources sonores. À Saint-François Xavier comme à Notre-Dame, à Saint-Sulpice, à la Trinité, il n'y a qu'un seul clavier ayant les tuyaux renfermés dans une boîte expressive permettant de nuancer les sons du pianissimo au fortissimo ; les autres claviers ont une sonorité fine, immuable. Imaginez un orchestre dont les solistes seuls pourraient faire des nuances, mais l'accompagnement aucune ! Cette condition a été longtemps regardée comme intolérable et suffisante pour l'orgue, au nom de certains principes d'esthétique actuellement en décadence, car on met dans les orgues neuves au moins deux claviers expressifs sur trois : cela permet une artistique flexibilité de nuance, même dans la musique contrapunctique des maîtres anciens, qui se pare ainsi d'une nouvelle beauté. D'autre part, le deuxième clavier expressif, essentiel dans la musique d'orgue actuelle - comme dans celle de demain - en fait mieux valoir la grande richesse polyphonique.
Dans son ensemble, la sonorité de l'orgue de Saint-François Xavier a le caractère brillant des orgues de l'école française, où l'usage dispendieux des souffleurs forçait à obtenir la puissance par des jeux d'anches éclatants, un peu en fanfare, mais dépensant peu de vent ; et cela aux dépens de la majesté des jeux de fond si remarquables des orgues anglaises et allemandes munies de souffleries mécaniques.
Ce caractère imposant de majesté profonde et d'un caractère si religieux pourrait être aisément obtenu à Saint François-Xavier, dont le système tubulaire permettrait de faire parler, aux claviers manuels, quelques jeux d'anches, si l'on tient aux effets de fortissimo éclatants, puisqu'il y a un ventilateur électrique.
Ainsi rajeuni dans sa transmission tubulaire, amélioré par un deuxième clavier expressif, rendu plus majestueux, plus imposant par l'utilisation de jeux de fond de pédales, l'orgue historique de Saint-François Xavier pourrait être réellement un des plus beaux instruments de Paris ; car, sans viser la puissance de Notre-Dame, de Saint-Sulpice ou de Saint-Eustache, inutile dans un vaisseau moins vaste, il leur serait supérieur au point de vue expressif et proportionnellement plus majestueux par l'ensemble des jeux de fond.
D'autre part, un grand artiste comme Adolphe Marty mérite d'avoir sous les doigts un orgue modernisé, capable de bien répondre aux inspirations de son merveilleux talent d'interprète et d'improvisateur.
Docteur G. Bédart, Lille.